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Ing Van der ven

Portrait d'Inge van der Ven, David Brunel

Portrait d'Inge van der Ven, David Brunel

Biographie

Née en 1973 à Delft (NL), Inge van der Ven est artiste plasticienne, elle vit et travaille entre Amsterdam et Arles. Diplômée de l’école de la Gerrit Rietveld Academie (peinture & dessin), Maîtrise en Arts du Spectacle (Ciné, Théâtre & Télévision), Université d'Amsterdam (UvA). Sa pratique artistique est plurielle, hybride, elle visite l’intime et la fragilité, la relation entre intérieur et extérieur. L’idée de peau, d’enveloppe, de contenance, représente une constante thématique dans son travail — métaphorique, délicat, onirique, poétique. Elle expose régulièrement aux Pays-Bas et en Europe. Elle intervient régulièrement à l'ENSI (École des NouvelleS Images) à Avignon (Fr), dans le cadre de workshops et de jurys. Invitée dans la dernière publication de David Brunel, Avec les cils comme rideaux (2020), aux éditions de l’Épair, pour laquelle elle a produit une série de photocollages. Inge van der Ven fait partie des lauréats 2023 du Prix National de Céramique aux Pays-Bas.

« Une catégorie spécifique se dégage des œuvres de Inge van der Ven, celle des référents au caractère éphémère : papillons, bourgeons, fleurs, fécondations, et toutes les petites notes passagères, légères, fragiles et colorées que l’artiste joue sur la partition de la temporalité pour lesquelles une place dans son travail est clairement réservée ».

David Brunel

« J'utilise des matières connectées à l'idée de peau, lesquelles invitent au toucher et évoquent un sentiment de protection : enveloppes, membranes, collants, torchons, serpillières, vêtements, papier peint, feutre, laine… J’utilise des sujets (et leurs formes) de manière récurrente, chaises, canapés, baignoires, tentes, tapis, vêtements, chaussures, tasses, bols, vases, etc. Ce sont pour la plupart des réceptacles qui diffusent l'idée d'accueil, d'abris, de refuge, de bienvenue, de cocon, de nid, des ventres maternels ».
                                                                                                                                                                                              Inge van der Ven

Un voir de brume - portique de nuages

Pour le regardeur qui ne sentirait pas qu’en surface de nombreuses œuvres de Inge van der Ven quelque chose qui n’appartient pas à la vision rationnelle se passe, se joue, se déroule, s’énonce, celui-là aurait alors à se repositionner. Car devant ce travail, un voir détaché, peu appliqué à la reconnaissance, peu soucieux de la compréhension, un voir qui se situerait à la limite de la précision optique, un voir en bascule, un voir sans question, vierge, un voir de brume, un voir cryptique, lequel ouvre grand les portes de la perception et place le regardeur sous l’arche de la phantasia - portique de nuages, ce voir là a priorité. Il est une étape première, utile à la rencontre de ces œuvres, il rejoint quelque peu la contemplation telle que Bergson la précise : « contempler c’est s’immerger dans une manière virginale de voir, d’entendre et de penser ». Allons alors vers cette immersion sensorielle virginale, ces œuvres nous y invitent, et profitons, apprécions, jouons le jeu des sensations, des impressions, et de l’expérience esthétique.

C’est dans la quiétude de ce regard relâché que les amoncellements de formes, de matières, et de couleurs, lâchent pleinement leur senteur originelle. C’est dans ce voir flottant que toutes les petites traces van der veniennes diffusent totalement leur fragrance onirique, ontique, celles d’un monde dans lequel les objets ont eux aussi une vie propre, une existence autonome, une âme, et dont chaque œuvre est garante, devenant pour ainsi dire l’authentique garde du corps de l’esprit des choses.

Ces œuvres appellent poétiquement et clairement le regardeur à se situer dans un temps hors précision optique, hors assiduité référentielle, afin d’acquérir un voir autre, un voir meilleur, un voir capable de repérer cette exhalaison liminaire singulière que possèdent indéniablement beaucoup des créations de Inge van der Ven. Aura de surface donc, comme une sorte de premier plan invisible installé en amont même de la matière, situé à fleur d’œuvre. La captation sensorielle de cet invisible flottant à la surface des œuvres de l’artiste néerlandaise s’apparente peu ou prou à l’interception d’une subtile odeur de cuisine qui aurait été saisie depuis le hall d’entrée, dès l’arrivée, au moment où le voyageur se débarrasse de ses enveloppes calorifiques. Annonce olfactive prometteuse, claquement de doigts proustien, motricité de l’œuvre à l’œuvre, brillante orientation thématique - comprendre ici que ce délicat fumet libéré par l’enrobage invisible au sein duquel l’œuvre se trouve est annonciateur d’une thématique qui traverse de part en part le travail de Inge van der Ven, à savoir, la temporalité (pensée sur laquelle nous reviendrons).

David Brunel, Le temps des choses/Les choses du temps, (texte complet)

Interview

Qu’est-ce qui vous anime dans la création et que cherchez-vous à révéler avec vos œuvres ?

Entrer dans un espace de tranquillité, revitalisant, un temps de quiétude, une sortie de la réalité. La création vient comme une nécessité, plus qu'un besoin, une nécessité, je ne peux pas m'imaginer une vie sans créer ! Ce que je cherche à révéler avec mon travail relève précisément de ce qui m’anime quand je crée.

À quoi vous renvoie le terme In-Visible en art ? Selon vous, lequel de vos travaux est le plus intimement lié à cette idée ?

Je relie le terme d’In-Visible au temps et à la mémoire, un sujet d’ailleurs important dans mon travail. La série Artefacts visite de mon point de vue le sujet de l’In-Visible. Ces matériaux pauvres (rarement nobles) et objets du quotidien collectés dans la nature, deviennent des petits assemblages autonomes, presque des êtres. D’autres travaux rencontrent également le sujet, comme cette tente faite avec des collants et cet édredon produit avec des serpillières. De façon générale, la majorité des matériaux et objets usités portent eux-mêmes la trace du temps de par leur usure, dégradation, ils sont porteurs d’une mémoire, celle de leur emploi.

Lors de votre processus de création, collectez-vous les objets avec une idée initiale ou l’idée surgit-elle suite à vos collectages ?

Mon travail relève plus de l'intuition que de la conception. Je récolte des matériaux et des objets qui résonnent pour moi, avec mes thèmes, ou je les trouve tout simplement beaux dans leur imperfection. Ces matériaux et objets attirent mon attention sans idée initiale, sans pourquoi, c’est presque eux qui, pour ainsi dire, me choisissent.

À fleur de peaux

Inge van der Ven est une artiste plasticienne néerlandaise, née à Delft, la ville de Vermeer, en 1973. Diplômée de l’école de la Gerrit Rietveld Académie, elle vit et travaille aujourd’hui entre Amsterdam et Arles. Son travail voyage également, dans le cadre d’expositions individuelles et collectives, aux Pays-Bas et en Europe.

 

Inge van der Ven fait résonner ensemble l’intimité, la fragilité, et la féminité. D’une part, elle fabrique des membranes, envisagées comme des « peaux » par l’artiste elle-même, afin de traduire la relation entre intérieur et extérieur. Pour tout corps vivants, la peau représente une interface. Protection visible, opaque ou translucide, elle suggère toujours un dedans, partiellement révélé, ou totalement invisible. Et d’autre part, l’artiste néerlandaise prélève des objets et matériaux depuis leur milieu domestique ou familier pour les assembler, les déplacer, et finalement les transformer en œuvres : des artefacts aux installations en passant par les collages, la peinture, le dessin, ou la céramique. Comme l’exprime David Brunel au sujet du travail de Inge van der Ven dans son texte Le Temps des Choses / Les Choses du Temps

« Aura de surface – comme une sorte de premier plan invisible installé en amont même de la matière, situé à fleur d'œuvre. La captation du capteur de l'invisible flottant à la surface de l'œuvre [...]. Comprendre ici que ce délicat fumet libéré par l'enrobage invisible au sein duquel l'œuvre se trouve est annonciateur d'une thématique qui traverse de part en part le travail d'Inge van der Ven, à savoir, la temporalité ».

Inge van der Ven nous permet ici de chercher les contours de l’In-Visible, à travers deux familles d'œuvres : ses artefacts et ses installations.

 

Les artefacts exposés sont des objets déplacés ou hybridés, évocations de la nature, ou d’un passé. À propos de l'œuvre de Inge van der Ven, David Brunel appelle à distinguer les signes du temps. Tout comme la naissance pour un humain, la flore fait l’expérience du bourgeonnement, le déploiement de la nature et son retour périodique, c’est ce qui est perceptible dans les œuvres Blossom et Candy Flower. L’arbre qui de sa sève a fait naître des fleurs, représentées par des tasses colorées roses chez Inge, création nommée Blossom, nous fait replonger dans ce sentiment du premier printemps vécu (Blossom et Candy Flower sont des techniques mixtes sur impressions à l'encre pigmentaire, contrecollées sur aluminium).

La série Metamorphosis se compose de quatre pièces contenant des papillons fabriqués avec des matériaux et techniques mixtes. Metamorphosis III et Metamorphosis IV représentent l'éphémère, un temps restreint, qui peut rappeler le principe des saisons lors duquel la nature change, se métamorphose ; tout comme la procédure de l’artiste qui glorifie un objet du quotidien en l'élevant, l’augmentant dans l’esthétique comme dans le sens, au rang d'œuvre d’art.

 

La pièce À l'Époque présente des bouteilles à bulles sur un fond en carton. Comme l’indique le titre, elle est un renvoi à l’enfance, une mémoire enfouie, une image qui tend à disparaître de notre stockage mnésique. Comme le temps, la mémoire est impalpable, donc invisible - à moins d’en considérer les effets ; les traces, les séquelles, les images…

Les installations sélectionnées et réunies ici convoquent toutes des matériaux tissés et une unification par la couture. Chaque morceau d’étoffe a son histoire, passé par plusieurs mains - de l'industrie à l'atelier de couture jusqu’aux foyers d’adoption - il affiche une vie d’usure. Ces rebus de tissus en tous genres deviennent des matériaux nobles pour Inge van der Ven. Elle les utilise comme le peintre ses tubes de peinture. Ces toiles finies, non pas peintes mais cousues, sont ensuite mises en place dans des espaces intérieurs, ou extérieurs. L’idée de protection, d’enveloppement, d’abri, de refuge est symboliquement présente dans beaucoup d’œuvres de l’artiste. La tente construit à partir d’un stock de collants recyclés cousus les uns aux autres, ou la devanture en toile, patchwork de vieux torchons tirés entre quatre piliers en bois, toutes ces pièces évoquent des refuges. Fragile présence qu’arbore ce rideau de collants, lequel rideau ne remplit pas sa fonction habituelle : celle d’occulter. Ici, il ne cache rien, il se montre, dans son extrême fragilité, dans sa verticalité, présence discrète, suspensive, délicate. Toutes ces textures ont un dessein pour l’artiste, à l’instar de Pillow (oreiller géant fait de serpillères), elles induisent une douceur, un accueil, un appel au toucher. 

 

A travers ses utilisations de peaux diverses et d’enveloppes, cette sensation d’accueil, notion d’abris, idée de cocons, et, essentiellement de ventre maternel, Inge van der Ven fait retour sur l’origine, notre origine. Ses œuvres initient un voyage dans le temps mémoriel, celui de notre venue au monde. Rappel des captations inaugurales, des sensations premières, d’un temps où la mémoire est encore floue et lors duquel l’humain découvre le monde du dehors — après son temps de vie intérieure, liquide, intra-utérine. Un monde s’ouvre, et ce même monde s’ouvre au sujet regardant. Ces œuvres renvoient parfois à cette captation inaugurale.

 

Par ces procédés, l’artiste amène immanquablement le regardeur vers des traversées de paysages intimes et sensibles. Lointaine héritière du mouvement Arts and Crafts, avec une touche d’art brut, son travail dialogue sporadiquement avec celui d’Annette Messager, voire de Laura Lamiel, ou les bâtisseurs de l’Arte Povera... La hiérarchie entre les matériaux n’existe pas. Ce qui prévaut pour ces nouveaux objets protéiformes, ce sont les sensations qu’ils activent et leur immédiate poésie. Ils triomphent dans notre ressenti vibrant, dans l'émotion pure. Telle une tisserande, les œuvres de Inge sont des étoffes, entrelacs de temps présent et de questions mémorielles, lesquelles nous invitent à rendre visible ce qui est dans le visible même, « in-visible ». 
 

« L’intimité, ce qu’il y a de plus intérieur et de plus caché devient surface ».
Jean-Luc Nancy

« Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau ».
Paul Valéry

 Artistes

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