REMI VINET
Guillaume Chaplot,Marseillan-plage, 2018
"Marseillan-plage, 2018" Photo : Guillaume Chaplot
Biographie
Rémi Vinet est artiste, photographe et réalisateur, diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie, ENSP de Arles. Il a engagé une pratique de la photographie après des études de cinéma documentaire à l’université de Poitiers, et a suivi l’enseignement de Serge Gal à l’école de photographie Image Ouverte de Clarensac.
En 2004, il publie Cet absent-là (éditions Léo Scheer et Folio Gallimard), qui regroupe un ensemble de ses figures, accompagné d’un texte de Camille Laurens.
Parallèlement à son travail de photographe, il réalise des films relatifs à la musique. Portraits d’orchestres et de musiciens ou interprétations expérimentales, ses films représentés en partie par la Huit Production sont diffusés sur les chaînes de France TV et des chaînes régionales.
Il travaille actuellement avec Pascal Dusapin sur les Etudes Pour Piano du compositeur et interprétées par Vanessa Wagner.
Rémi Vinet vit à Montreuil en Seine-Saint-Denis et est le père de deux enfants.
En quelques mots
Interview
Pouvez-vous rapidement vous présenter, nous parler de votre parcours, de votre démarche ?
Je suis artiste, photographe et réalisateur. La photographie s’est associée progressivement à ma pratique du cinéma qui fut ma formation première : des études sur le documentaire, un DUES Filmer le réel à l’université de Poitiers. L’acte de faire des photographies est venu naturellement avant de réellement s’affirmer en suivant l’enseignement de Serge Gal à l’École de photographie Image Ouverte de Clarensac. Je suis par ailleurs diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie à Arles. Mon travail en photographie a été exposé en France et à l’étranger par la galerie RE à Paris, la galerie Gora à Montréal, et dans le cadre d’événements internationaux tels que Paris-Photo et Le Mois de la Photo. Il s’articule également par des expositions en lien avec différentes publications, entre autres Cet absent-là, un ouvrage partagé avec l’écrivain Camille Laurens aux Éditions Léo Scheer. Je présente aussi mes photographies dans des performances et installations en invitant en créations transversales d’autres artistes musiciens, chorégraphes et comédiens, Csaba Palotaï, Richard Comte, Philippe Chateau, Sylvie Pabiot, Palix, Cédric Eymenier etc. Mes films sont produits en partie par la Huit, société de production du 12ème arrondissement de Paris avec laquelle je collabore depuis 12 ans. Ce sont des films principalement orientés vers la question de filmer la musique à travers le portrait de musiciens et une interprétation cinématographique de leur musique. Ce sont pour la plupart des 52 minutes régulièrement diffusés sur des chaînes spécialisées telles que Mezzo, Arte, Culture Box, France TV et aussi sur des chaînes en région, TV Nantes, France 3 Ile-de-France, etc. Parallèlement à ma pratique artistique, j’enseigne la photographie en dirigeant des workshops en collaboration avec le lycée St Sulpice à Paris, l’ENSI d’Avignon, La Maison du Geste et de l’Image à Paris, l’École des Beaux-Arts de Mulhouse, le Musée de la Photographie de Bièvre et aussi d’autres institutions sociales, Maisons pour l’Emploi et centres sociaux. Mon travail d’artiste est d’interroger la mémoire par l’expression et la formulation de l’identité humaine. Les grands maux humains émanent de questions d’identité. La compréhension du fonctionnement des mécaniques sociales et politiques de notre ère est, à mon avis, intrinsèquement liée à cette affirmation. Comment faire le lien entre l’image décrite d’un grand-père soldat de 14-18 retrouvé agonisant sous la neige de Verdun, l’image des opposants à Pinochet disparus sans sépulture en 1973 au Chili et les migrants avalés par les flots au cours de l’exil ou entassés dans des camps aux confins de la Turquie en 2024 ? C’est dans cette image de la disparition que je cherche à formuler l’identité humaine en la puisant dans l’image qui apparaît quand on pense à une personne qu’on ne voit plus. Un visage fabriqué à partir d’un autre visage, créé avec les lignes essentielles universelles (nez, bouche, cou, front…). Comment l’image fait signe, une trace sur un visage par exemple peut-elle renvoyer à une mémoire collective et en même temps conduire à une interprétation individuelle, personnelle, intime ? L’identité humaine se formule me semble-t-il dans « la désidentification ». Ainsi, figure, Phonèmes, Les Suites Photographiques, Le Veilleur et un ensemble de travaux menés depuis vingt ans participent de cette recherche. Ma recherche est nourrie d’influences multiples : les films noirs et blancs de l’enfance, Duvivier, Renoir, Clouzot avec Gabin et Vanel, les grands textes et poésies de Mercedes Sosa ou de Paco Ibanez, la chorégraphie de Catherine Diverres, un choc rencontré au Théâtre de la Ville en 1996 qui me conduira à écumer les spectacles de danse dans lesquels je puiserai une grande part de mon influence pour créer figure, les photos de famille scrutées longuement dans leur boîte en évoquant les fantômes familiaux que j’analyse aujourd’hui à la lumière (et l’ombre) de la psychanalyse et la philosophie (entre autres Serge Tisseron et Jean-Christophe Bailly), le cinéma documentaire de Chris Marker, Robert Kramer, Dziga Vertov, où le réel s’émancipe vers des visions universelles, la photographie de Robert Frank, de Jose Luis Neto, le travail de Christian Boltanski aussi. C’est une longue pratique de l’art et l’image que je résume ici. Si mon travail est multiple, un des axes de ma recherche est la tension entre le singulier et le commun, l’intime et l’extime, l’individu et la société. La série figure illustre bien cette tension, jamais apaisée, mais qui fait la richesse des hommes et leur singularité irréductible. Dans mon travail de réalisateur, je poursuis cette recherche, en la déplaçant toutefois, notamment au cœur de la « création collective », comme une métaphore du vivre ensemble, et des conditions du développement personnel au sein d’une collectivité.
Pouvez-vous nous dire à quoi vous fait référence cette notion d'In-visibles, dans l'art en général… Est-ce que celle-ci vous parle, et qu'est-ce qui dans votre travail pourrait vous sembler avoir un rapport avec ce thème, orthographié ainsi ?
In-visible… Ce qui serait visible depuis l’intérieur caché ? Ou au contraire, un intérieur qui serait possiblement vu de l’extérieur, qui se rendrait visible… ? J’ai passé de longues années à chercher, avec la pratique de la photographie, ce qui définit l’identité humaine en scrutant mes images et en y prélevant des visages pour en faire d’autres visages… In-visible relève de ça me semble-t-il. C’est une part de mon travail figure. Mais on retrouve aussi cela dans les suites photographiques où le récit intime s’offre à une vision romantique universelle. Mais n’est-ce pas au final le propre du photographe que de (vulgairement dit !) s’immiscer dans les affaires des autres pour être vu ? Il y a quelque chose de cela aussi dans In-visible simplement par la question : ce que l’on voit existe-t-il vraiment ? Il n’est que question d’aller dedans pour appartenir puis apparaître (ou pas). On passe sa vie à cela.
Peut-être pourriez-vous nous suggérer des pistes et nous suggérer laquelle de vos œuvres vous semble la plus représentative ?
figure / Les suites photographiques puis plus récemment Vers /cors ou I Love Nana.
"Penser à quelqu’un que l’on ne voit plus, il en vient toujours une image. Une figure se définit ainsi. Une image ancrée dans la mémoire, un visage aux traits façonnés par la connaissance et par le temps qui passe. A partir de cette vision, aller plus loin. Détacher le visage des liens quotidiens, sociaux, familiaux, communautaires… les effets. Tenter une extraction. Extraire le visage de son identité apparente.
« Désidentifier ». Tendre vers les formes, les lignes, appréhender les masses qui le dessinent. Utiliser le noir et le blanc, les gris pour formuler. Recomposer Un Autre enfoui, inexprimé, nié. À partir d'un visage, je fabrique un autre visage. C’est figure. De mes photographies, j’extrais des visages en les projetant puis en les rephotographiant sur une toile. C’est le principe. La prise de vue est aplat. Délicate. J’isole un négatif. Dans mon laboratoire, c’est au tirage que figure prend forme. Tout y devient sensible car tout fait sens. Un changement de contraste ou une approche de maquillage peut amener à une autre interprétation. Il faut orienter la vision vers l’absorption subjective, vers un invisible vivant. Tout est lent et long avant de considérer une figure aboutie. Il faut souvent revoir, s’interroger, recommencer. On ne sait jamais. Les figures sont toutes du même format 358 x 480 mm sur une feuille de papier baryté argentique 50 x 60 cm. Un format proche de la conversation. Les premières figures sont apparues en 1997. Elles s’étalent sur plusieurs périodes. Il y en a aujourd’hui 65. D’autres s’en viennent. C’est infini."
Photographie/Figure, Rémi Vinet
Rémi Vinet, suites photographiques Vers /cors
Rémi Vinet, suites photographiques I Love Nana.
Figures
Une étendue spectrale
Remi Vinet est un artiste photographe et réalisateur, né à Thouars en 1965. Il est diplômé de l'École Nationale Supérieure de Photographie d'Arles et de l'École de Photographie Image Ouverte de Clarensac où il a suivi l'enseignement de Serge Gal.
Dans sa série de photographies Figures, la technique/approche de Rémi Vinet pour développer ces images consiste à re photographier ses propres photographies. Il les projette pour en extraire une autre image inscrite dans une autre réalité (Blow Up, Michelangelo Atonioni). L’image est ensuite travaillée dans la chambre noire. Figures est une série de photographies en noir et blanc qui se distingue par son fort contraste et son aspect brut. Pour Rémi Vinet, ces photographies ne sont pas des portraits, ce sont des « figures », à savoir, « la forme extérieure d'un corps ».
De notre point de vue, les photographies ressemblent à l’image d'un souvenir oublié, des personnes que nous avons connues autrefois et dont nous sommes à présent tout juste capables de nous rappeler le visage — comme en partance. Remi Vinet cherche ses personnages dans ses propres images. « En pensant à quelqu'un que l'on ne voit plus, une image nous vient toujours à l'esprit ». La figure se définit ainsi. Une image ancrée dans la mémoire, un visage aux traits façonnés par la connaissance et le temps qui passe. Les photographies de Remi Vinet ne donnent pas l'impression de cacher des informations au spectateur, mais l'image peut être trompeuse. Si nous voyons un visage, nous ne savons pas ce qui peut se cacher derrière. Chez les gens il y a toujours deux faces : la personne qu'ils présentent socialement, et celle qu'ils enferment dans leur esprit, à savoir, leur véritable personnalité.
Ce qui relie cette série est un thème universel, celui de la façon dont les humains conservent des images de visages dans leur esprit et de la persistance de la survie de la mémoire. Chacune de ces photographies ne s’apparente en rien à un portrait. Les images représentent plutôt une présence lointaine, l'âme d'un esprit, qui flotte. Le contraste élevé instaure une couche d'imprécision dans l’image, le visage est vague, mais là. Contraste bien entendu intentionnel, il suggère qu'à travers la matérialité de la photographie, nous ne regardons pas seulement une image, pas un portrait, mais une figure (spectrale). Il s'agit d'une mémoire vivante. Ce que Rémi Vinet essaie de mettre en évidence c'est peut-être ce que la photographie physique, ou simplement optique, ne peut pas collecter : un au-delà de l’image, une pure énergie sensorielle, ou plutôt, une énergie émotionnelle qui enveloppe, voire scelle de façon permanente le souvenir dans l'esprit d'une personne.
En résumé, Remi Vinet emmène le spectateur dans un voyage au-delà des limites de la vue. La photographie ne se résume pas à l'éclairage, à la texture et au cadrage. Il y a une âme dans les photographies de portrait, mais elle doit évoquer les sentiments du spectateur pour qu'il se connecte à la photographie plutôt que de simplement la voir. La photographie ne se résume pas à ce que l'on voit, elle convoque aussi l'invisible. Les Figures de Remi Vinet posent la question de savoir si ce que nous voyons existe vraiment ? Étendue spectrale…