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David Brunel

Biographie

Né en 1968 à Toulon, vit et travaille entre Arles et Amsterdam. Docteur en philosophie esthétique et études psychanalytiques, écrivain, photographe, chercheur associé au Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Humaines et Sociales de Montpellier (CRISES), qualifié Maître de conférences (18ème section). Il dispense des charges de cours dans diverses universités et écoles supérieures d’art. Conférencier régulier à la Fondation Vincent van Gogh (Arles).

Que ses préoccupations de recherche soient d’ordre critique, poétique, ou photographique, elles restent animées par la vaste question de la représentation (autant du côté créateur que du côté regardeur).

Au croisement de la peinture hollandaise du XVIIe, de la peinture italienne des XVe et XVIe, et de la mythologie, les pièces du Zephyr Project Parts I & II offrent au regard une marche initiale balisée, référencée, épaulée par les réminiscences culturelles et iconographiques qui habitent le sujet regardant bien au-delà de son vouloir, bien au-delà de son voir. Ces photographies attisent et courtisent le versant doxique du regard esthétique, autrement dit, un « fonds de surface », un fonds collectif. Ainsi, au détour de ces dernières, il n’est pas irrationnel de sentir la « présence » fragmentaire et parsemée de certains tableaux de Johannes Vermeer, Pieter de Hooch, voire Gerard Dou ou même Hendrick Van der Burch (sources valides pour Zephyr Project Part I, une entrée qui associe intérieurs et modèles féminins). La nature présente dans le fond des portraits en pieds (masculins pour l’occurrence), convoquent plutôt la peinture italienne et certaines de ses figures majeures (Léonard de Vinci, Raphaël, Titien, Piero Di Cosimo, Sandro Botticelli, Giorgione,...). Mais là n’est pas leur finalité, tout juste une piste dont l’issue s’arrête à quelques encablures d’où elle débute – la carte de la citation ne revendique pour l’occurrence aucune filiation postmoderne et constitue encore moins un fondement. Victimes, par la dénomination même du projet, Zephyr, et les titres respectifs, Chloris, Psyché, Podargé, Orythie, Proserpine, Borée, Notos, Argeste,.., d’une autre forme de tiraillement référentiel, ces épreuves courent le risque de s’enfoncer un peu plus profond dans les méandres de la citation. De ce fait, retrouver dans l’environnement des personnages photographiés des attributs spécifiques aux figures mythologiques qu’ils représentent n’est pas erroné, mais, encore une fois, ce n’est pas non plus une fin en soi ; juste une autre piste qui ne mène nulle part (sûrement proche des Holtzwege si précieux à Heidegger). En revanche, une chose est vraiment là : ce qui n’y est plus ! La disparition, ou disons, la non présence des supports assis chez les femmes, ne connotent pas seulement et simplement la thématique de l’enlèvement dont Zéphyr est souvent le protagoniste, pas plus que le flottement aérien dans lequel sont installés les modèles en pieds. Non, cette disparition tente surtout de démontrer que si l’œil voit, le cerveau lui représente et qu’il y a une confiscation du voir par le regard, une prédominance du signifié sur le signifiant. Le concept enveloppe l’image, l’image enveloppe le regardeur, que reste-t-il au final de juste, de réellement vu ? Ce qui intellectuellement perçu, ou ce qui est optiquement aperçu. Le « a » d’aperçu n’est- il pas un « a » privatif dès lors que l’intellect s’en mêle/s’emmêle ?

Le sensible est trompeur, Platon l’assène (cf. La République, Livre VII), mais l’intelligible fait parfois de grandes glissades...
En rejouant la réapparition du disparu, voire du jamais apparu, chaque fauteuil en moins stimule un « faux-t-œil » en plus qui organise la vision. Cette non-présence symbolise le creux  fondateur de toute image et, dans le même temps, elle métaphorise la spoliation du support porteur, indiciel, objectal, par le référent, la dépossession du fond par la surface.

Zephyr Project, Part II, #2 - Argeste.tif

Zephyr Project Part II #2, Argeste, 2008, Lambda print, contre collé sur dibon,
102 x 127 cm, 2008.

Zephyr Project, Part II, #1 - Borée.tif

Zephyr Project Part II #1, Borée, 2008, Lambda print, contre collé sur dibon,
102 x 127 cm, 2008.

Zephyr Project ou une histoire de disparition

Zephyr Project, Part I, # 1, Chloris.tif

David Brunel, Chloris, Zephyr Project Part 1 #1, Lambda print, contre collé sur dibon, 102 x 127 cm, 2008.

Interview

InterviewDavid Brunel
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Pouvez vous nous dire à quoi cette notion d'In-visible vous renvoie, dans l'art en général... Est-ce que celle-ci vous parle ? Et qu'est-ce qui dans votre œuvre pourrait vous paraître relever de cette thématique, orthographiée ainsi ? 

L'invisible, pour moi, c’est ce par quoi le visible est. L’invisible, c’est ce qui fonde le visible et qui n’est pas soi-même visible. Je ne dis pas que j’ai LA réponse, c’est MA réponse. Chez Merleau-Ponty c’est la chair du visible, ce n’est pas le contraire du visible. L’invisible c’est un supplément d'âme au visible. L’invisible c’est ce qui fait par exemple qu'une image est meilleure qu’une autre. Devant deux images visibles, tangibles, si une a en elle ce qui la fonde, c’est à dire de l’invisible inscrit dans le visible même, et que cet élément est là, insaisissable d’un point de vue optique, mais que le nez attrape, alors cette image-là aura une valeur supérieure à l’image qui se pose sur le visible seul. L’invisible pour moi c’est le battement des choses, leur cœur, c'est ce qui les fonde, c'est ce qui est plus important que tout, sans l’invisible — tel que je tente de l’évoquer — les choses n’existent pas pleinement.

Pour ramener cette idée à un arbre par exemple, l’invisible ce sont les racines. Si l'arbre est là et qu’il tient, et qu'il pousse autant vers le ciel que vers la terre, c’est parce qu’il a des racines. Tu peux enlever l’arbre, mais pas les racines. L’arbre peut repousser si on garde les racines. L’arbre va disparaître si on enlève les racines. C’est un registre de réversibilité, une double poussée (haut/bas), mais le point de priorité va du côté de ce qui ne se voit pas : les racines. C’est la valeur de l’invisible tel que je l’entends. Dans mon travail, dire que l’invisible tel que je viens de le présenter existe serait hautement prétentieux. Je ne prétends pas le domestiquer, je le questionne simplement, humblement. J’ai fait les deux séries, Zephyr Part I et Zephyr Part II , dans lesquelles je mets quelque chose de visible en moins sous les yeux. Je questionne l'invisible, je convoque le retrait. Quelque chose manque, quelque chose n’est pas là dans ces photographies (les deux séries sont précisément à voir pour comprendre ce que je dis). Le but du jeu pour moi est de mettre en évidence le fait que parfois, on pense voir optiquement certaines choses comme étant là, alors qu’en réalité elles ne sont pas là, c’est la pensée qui les intègre à l'image.

Ces grands tirages renvoient à plein de registres, ce sont de « gros gâteaux à la crème culturelle » qui cherchent à piéger le spectateur par un excès de références (mythologie, peinture hollandaise…). Le cerveau est préoccupé par ces modalités de reconnaissance, c’est bien lui qui voit et non les yeux, lesquels envoient simplement des informations qui sont complétées par le cortex visuel. On voit ce qu’on pense, et non ce que nous voyons optiquement, on voit psychiquement (à 80%) pour le dire autrement. Pris par cette préoccupation culturelle, les observateurs ne voient pas que quelque chose manque à l’image, à savoir un fauteuil, car leurs cerveaux l’ont remis en place. Quelqu’un qui est assis doit nécessairement être assis sur quelque chose. Le fauteuil doit être sous la personne pour qu’elle puisse être assise, logique. Or, là, dans ces photographies, il n’y a pas de fauteuil, mais parce que quelqu’un est dans une position assise, le fauteuil est de fait vu, le fauteuil devient un “faux-t-oeil” pour ainsi dire. Les gens, parfois accompagnés par un autre regardeur qui a repéré le subterfuge, reviennent devant l’image pour constater la méprise : “Ah oui, il n'y a effectivement rien là dessous…”. Preuve faite par leur regard que le cerveau est trompeur dans le traitement de la vue (et pas seulement !).

Dans Zephyr Part II ce sont des hommes debout. Si côté féminin la référence picturale est flamande (siècle d’or), côté masculin, la référence est italienne (Renaissance). L'arrière-plan est comme un écho des fonds picturaux léonardesques (paysages, montagnes, perspective atmosphérique, sfumato…). Les hommes debout, eux, sont dans une posture qui indique un ancrage au sol, sauf qu’ils en sont décollés. L’idée est une fois de plus de faire en sorte que cela ne soit pas vu d’emblée. Encore un artifice qui cherche à générer un hiatus. C’est fait pour être vu, mais pas d’emblée, de telle sorte que le spectateur puisse remarquer a posteriori qu’il n’avait pas initialement remarqué. C’est aussi simple que cela. A cet endroit-là on pourrait parler d’invisible, mais pas de cet invisible majeur qui est ce par quoi les choses sont.

Pourriez vous nous parler de Zephyr Part II, et des différences et similitudes entre Zephyr Part I et Zephyr Part II ? 

Il n’y a pas d’histoire de parité là-dedans, j’avais simplement visé dans Zephyr Part I des femmes, toutes « empruntées » à la mythologie grecque, et installées dans un cadre flamand (le fameux « gâteau à la crème culturelle »). Ces femmes de référence ont toutes été enlevées, et, souvent, en peinture, les enlèvements montrent des corps portés par des vents : Borée, Notos, Sciron, Zephyr,… Lesquels corps sont transparents car le vent est invisible, d’où cette idée (cf. Psyché, Podargé, Proserpine, etc). La série Zephyr Part II est venue car je n’avais pas le sentiment d’avoir épuisé le travail, j’avais l’impression de pouvoir faire quelque chose de plus, un pas de côté, mais je ne souhaitais pas pour autant répéter un enlèvement mythologique, cinq de ces derniers avaient déjà été produits (Psyché, Chloris, Podargé, Proserpine, Orythie). Je n’ai pas ressenti l’utilité de répéter une fois de plus ce que j'avais déjà dit cinq fois. J’ai donc fait une tentative avec des hommes debout dehors, (opposée aux femmes assises dedans). J’ai gardé la recette et je l’ai simplement déplacée, ajustée. Je suis passé des flamants du 17ème aux italiens des 15ème et 16ème siècles. J’en ai produit deux, Borée et Argeste. Le phénomène optique est plus probant chez les femmes que chez les hommes de mon point de vue. Chez les hommes on repère assez vite qu’ils sont décollés du sol (sans pour autant sauter).

Pourriez vous nous citer quelques artistes qui vous ont influencés pour cette série de photographies

Chez les Italiens c’est simple, c’est Léonard, Raphaël, Giorgione (mais la position verticale est en réalité empruntée à Francisco de Goya, à ses portraits féminins en pied). Je me suis promené entre l'Italie et l’Espagne, entre les temporalités. Chez les flamants c’est essentiellement Johannes Vermeer, Quentin Metsys aussi. Dans l’approche c’est la structuration de ce qu’est un mythe ; comment arriver à ficeler une histoire qui en rencontre d’autres, parce que le propre du mythe c'est cela : les personnages passent d'un endroit à l'autre, contrairement aux contes ou c’est cloisonné. J’aime l’idée du mythe, lequel avec le langage (muthos et logos) fabriquent un cadre communautaire, comportemental, éducatif quant au rapport à l'autre, sauf qu’ici le cadre c’est une image.

Assis dans un « faux-t-œil »...

David Brunel est un artiste, docteur en philosophie esthétique, écrivain, enseignant chercheur, le partage du savoir est important pour lui, apprendre tout autant. Il se présente comme un « poète photographe » et joue en permanence, selon ses mots, « avec l’image, la représentation, l’acte de création, ainsi que les divers axes du regard ». Un entretien avec l’artiste nous a permis d’entrer plus en profondeur dans sa conception de l’invisible (in-visible) dans l'art, thème même de notre projet curatorial. Il a évoqué son ressenti quant à l'importance de l’invisible, lequel selon lui est fondateur du visible sans être pour autant et en toute logique visible. Il le décrit comme étant un supplément d'âme rendant une image meilleure qu’une autre (voir son interview). Nous avons choisi d'intégrer au projet une sélection issue de deux séries photographiques jumelles Zephyr project Part I et Part II

Pour commencer, Zephyr project Part I. Chacune des femmes de cette série incarne des personnages mythologiques se faisant enlever (elles sont souvent représentées dans la peinture comme en lévitation, portées par un vent, lequel tient le rôle de l'enlèvement). On peut donc voir ces femmes entourées d'éléments divers, assises dans le vide, leurs fauteuils (« faux-t-œil ») volatilisés. Ces photographies cherchent aussi selon nous à montrer en image la structuration de ce qu’est un mythe, à savoir, un support éducatif. 

L'artiste, considérant ce sujet comme encore à creuser, a produit une seconde déclinaison, Zephyr project Part II. Il a, selon ses propres dires, « changé la recette » en mettant en scène des figures masculines cette fois. Deux photographies, deux figures mythologiques, Borée, dieu du violent vent du Nord, ainsi qu’ Argeste, un vent de l'ouest ou du nord-ouest, ont été mis en image. On passe des femmes aux hommes, d'un cadre intérieur à un cadre extérieur, de nouveaux décors viennent entourer ces figures masculines. Pour Borée, posture droite, comme ancré au sol, chemise florale, entouré par deux étonnants nuages placés au niveau de son dos, tels des ailes (un ange !). Ces nuages attirent le regard mais restent cependant naturels. Pour Argeste, léger contrapposto, le corps est tourné vers nous, tenue simple, couleur unie, simple présence droite, verticale, et une grue cette fois, pas deux nuages-ailes, mais une grue (autre figure de l’élévation, du flottement aérien).

Ces images, comme des tableaux, « entre paysage, portrait et nature morte », sont inspirées de ceux d’artistes italiens comme les peintures de Léonard de Vinci, Raphaël, d'où l’artiste tire l'idée d’un léger sfumato. Mais aussi de peintres flamands comme Johannes Vermeer ou Quentin Metsu. L’inspiration de la quête théorique vient de penseurs de l’image. Notre œil remarque plus tard l'absence de support sous les modèles, en parallèle avec Zephyr project Part I, le retour de ces fameux « faux-t-œil », nous replonge dans l’invisible. Concernant les nuages, avec Borée, leur placement nourri cet effet de légèreté, ce sujet de lévitation tout en apportant un côté angélique au modèle, très “léonardesque” d'après l’artiste . Quant à sa chemise, cet ornement a pour but de préoccuper l'œil, pour qu’il ne s'ennuie pas. 

Pour conclure, Zephyr project Part I et Part II jouent avec le visuel, ces séries exercent une forme de dérégulation sur nos regards dans le but de nous rappeler que le visible n'est pas que du visible, il relève aussi partiellement d’une forme d'invisible. A travers cela, David Brunel tente de démontrer “qu’on ne voit pas seulement avec les yeux, mais en pensée aussi".

 Artistes

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