Jean-Marc Urquidi
Biographie
Né à Bayonne en 1968, Jean-Marc Urquidi vit et travaille à Nîmes où il s'installe après l'obtention du Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique. Dans son travail, qui s'articule essentiellement autour de la peinture et du dessin, il prélève et déplace des éléments simples pour les confronter à un ailleurs où le temps du regard est différent, morcelé, suspendu. Temps étiré.
Cela existe par ses choix de compositions et l'utilisation de la répétition avec la présence dans des travaux plus anciens, de papiers peints ou la peinture de motifs qui y sont associés.
Cet état d'esprit se retrouve également dans la technique qu'il privilégie depuis quelques années et qui oblige à une lente réalisation. En effet, l'huile « sèche » sur papier réclame son temps ! Elle étire celui de l'atelier et le prolonge quand elle continue à se répandre dans le papier bien après la fin de la séance.
Ceci est loin d'être anecdotique car le résultat obtenu, qui oscille entre flou et grande précision, nous fait basculer dans ce monde autre; Distinct et identique au nôtre à la fois.
Saisir les choses qui s'enfuient
Combien de cheveux faut-il dessiner pour obtenir une chevelure ? Aucun répond Jean-Marc Urquidi qui s’attache à saisir des choses qui s’enfuient. Une masse de cheveux avec ses ondulations, ses reflets, c’est plus que la somme de traits que l’on voudrait rassembler. Si les dreads on pu faire partie des sujets de l’artiste c’est parmi d’autres choses que l’on ne sait pas dénombrer. Un tas de cailloux, un entremêlement de laine ou un bloc de terre. Représenter l’indénombrable c’est avant tout observer et faire face à ce que l’on regarde dans son intégralité. L’enjeu de l’image ne tient pas à un détail mais à un ensemble où tout est montré sans que l’on puisse rien y voir. La boîte de laine rose (2020) montre son maillage en nous suggérant par la tranche son volume mais sans que cela soit évident. De face on ne voit pas sur quoi elle repose, et ce qu’elle montre au fond, son contenu, on n’y a pas accès. Le peintre revient aux boîtes de façon régulière; elles jouent des apparences et illustrent son rapport à l’artifice et à la représentation. Peintre de l’empêchement, pour reprendre la formule de Beckett, Jean-Marc Urquidi est conscient que l’objet de la représentation résiste toujours à la représentation et qu’obtenir une image ne résout rien.
Texte complet
De même, Jean-Marc Urquidi ne présente pas d’intention définie et limitée lorsqu'il se met à l'œuvre ; dans une appropriation vers son travail pictural, il parle du style littéraire abordé par Roland Barthes : « c’est une phrase qui résonne très fortement dans ma tête, c’est qu’il s’agit d’observer le produit d’une poussée et non d’une intention ». Cette poussée, que lui-même met en directe opposition avec l’intention de raconter, se définit dans son travail par un « quelque chose » qui va entrer en résonance avec le monde qui l’entoure. Et c’est cette même poussée qui va matérialiser l’idée d’in-visible dans son travail.
En conjuguant la notion d’absence, il crée des points d’intérêt par des espaces de vide au sein de ses réalisations plastiques, en particulier avec Anecdote et Traces, qui dépeignent respectivement une écharpe trouée et un tas de feuilles mortes laissant une forme circulaire de terre apparente. Ces espaces négatifs prennent une présence importante, invitant le spectateur à focaliser sur le particulier plutôt que sur l’ensemble. L’artiste sollicite ainsi la curiosité, il ouvre un registre de questionnement : Que s’est-t-il passé ? À qui appartient cette écharpe ? Un enfant a- t-il joué avec les feuilles ? Un animal a-t-il creusé cette terre ? C’est un jeu qui s’établit entre l’œuvre et le spectateur, une rencontre entre imaginaire et la figuration de l’artiste qui représente les choses « telles qu’elles sont ».
La production de Jean-Marc Urquidi se construit et raisonne chez nous différemment selon le regard qu’on lui porte. L’artiste met en effet en place un jeu de distances essentiel à la compréhension de ses pièces, notamment dans Moineaux et Fenêtre Nord. En prenant à première vue une forme de « tâche » homogène au centre de la toile, Moineaux dévoile une accumulation d’oiseaux au spectateur lors qu’il s’en rapproche et observe méticuleusement.
De la même manière, le paysage de Fenêtre Nord ne présente dans sa forme aucun détail compréhensible en vue rapprochée, mais l’œuvre forme bien un tout cohérent dès qu’on s’en éloigne.
En faisant se confronter l’individuel au collectif, l’impression du détail à la forme globale, l’artiste instaure un jeu d’échelles variées et de distances avec le spectateur. Ces pièces ne prenant sens que dans une certaine zone d’observation, précise, voulue. Hors de cette zone ses images glissent vers d’autres perceptions, jusqu’à une dimension onirique. L’artiste fait disparaître une partie de leur spectre figuratif, impliquant de cette manière les notions de visible et d’invisible jusque dans le regard du spectateur.
D’autre part, Jean-Marc Urquidi installe cette distance avec la réalité dans une volonté de dérober son art à une représentation photo-réaliste, comme en témoigne D’un monde à l’autre qui est, d’après l’artiste, l’une de ses œuvres les plus représentatives de cette notion de l’In-Visible. Cette œuvre se compose en un diptyque dans lequel l’artiste hybride et donne à voir deux visions différentes d’une même branche : sa représentation fidèle à la réalité ; mais aussi une seconde représentation faite de pâte modelée rose (glissement hors de toute réalité). En découpant sa pièce en deux éléments à la fois couplés et distincts, l’artiste émet un contraste très fort mais sans pour autant sacrifier l’harmonie de la composition globale. En redirigeant l’intérêt vers son installation en terre dans un tournant, un pas de côté sur la réalité, il fait presque disparaître la branche originelle de l'œil du spectateur. D’un autre côté, Jean-Marc Urquidi introduit dans cette pièce la question d’un espace suggéré par une ombre portée, liant paradoxalement l’environnement lui-même à son détachement : « [...] c’est l’endroit où je suis le plus sur un fil, parce qu’à la fois il y a l’absence de l’environnement et à la fois il y a la conséquence de cet environnement puisqu’il y a une ombre projetée ».
In fine, Jean Marc-Urquidi transmet son dévouement pour le « faire dans la minutie » par laquelle il pose sur le papier sa contemplation du monde qui l’entoure. En alliant l’analyse à la patience, il résonne ainsi avec son sujet dans des représentations qui passent avant tout par l’observation, la compréhension, puis l’incorporation. En se livrant de cette manière à son travail, l’artiste se transporte avec ses œuvres hors du temps, hors de l’espace et hors de la réalité.
De cette manière, son travail est intéressant à relier à celui de Fabienne Verdier dans leur approche de création bien que ces dernières divergent en de multiples points. En effet, là où Jean-Marc Urquidi se concentre plus dans l’aspect pragmatique de ses réalisations, visant la parfaite analyse de son sujet, Fabienne Verdier se connecte plus à son for intérieur, écoutant davantage son cœur et son esprit. Cependant, tous deux se rejoignent dans la résonance totale de leur corps avec celui de ce qu’ils ont devant leurs yeux, ne faisant qu’un avec leur environnement et leur sujet : « Quand je peins un arbre je deviens arbre. Quand je peins l’eau je deviens l’eau. Quand je peins les tectoniques telluriques de la montagne, je deviens les tectoniques. Et la chose naît d'elle-même. Je la vis intensément avec mon cœur » nous dit Fabienne Verdier, il en va assurément de même pour Jean-Marc Urquidi.
Jean-Marc Urquidi, Anecdote, 2019-Huile sur papier,76 x 56 cm, Coll particulière
Jean-Marc Urquidi, trace 1, 2019, huile sur papier, 76 x 56 cm, Coll de l'artiste
Jean-Marc Urquidi, Fenêtre nord, huile sur papier, 30 x 40 cm, collection de l'artiste, 2016
Jean-Marc Urquidi, Moineaux 6, huile sur papier 65 x 50 cm,
Collection particulière, 2016
Urquidi_d'un monde à l'autre 2_2022_Huile sur papier 2fois100x70cm_Coll de l'artiste
Série boite laine
Série Pierre noir
Réaliser l'indéfini
Au cours de sa vie, l’envie de s’exprimer par le dessin est devenue pour Jean-Marc Urquidi « la nécessité de poser les choses par le dessin ». Dans un travail méticuleux d’observation et de questionnement, il se rattache au réel pour représenter le monde autour de lui tel qu’il le voit. Sans se soumettre à une quelconque phase réflexive ou intention propre, il se livre directement à l’acte de « faire dans la minutie » qui, dans un besoin très primaire de coucher sur son papier ce qu’engrangent ses yeux, est pour lui au centre de toute représentation.
Jean-Marc focalise son travail à l’huile sèche sur une recherche autour des formes, des matières et des textures dans un flou ambiant, une représentation portée sur l’insignifiant et l’indénombrable en une illusion du détail : faire moins pour représenter plus.
Ajoutons à cela que lorsque Jean-Marc travaille sur une œuvre il se voue à une grande contemplation de son sujet, ce qui le place alors dans une proximité avec la méditation. Cela est lié à ce qu’il décrit comme une « dualité entre l’instant et l’éternité » s’inscrivant plutôt dans un temps suspendu, une temporalité différente qu’un temps arrêté : il inscrit ses œuvres hors du temps, dans une appréciation, un dévouement pour le « faire dans la minutie ».
La méditation peut également dégager à la fois une forte présence et absence comme l’incarnent plusieurs de ses séries, notamment Boîte de laine. Dans un tissage détaillé qui découle d’une observation approfondie, l’artiste montre un long travail de représentation dans lequel il entre en résonance avec son sujet. C’est un processus que l’on retrouve de la même manière dans Pierre Noire. Les œuvres de cette série dépeignent chacune une agglomération formant un tout, il ne faut pas seulement voir les pierres une par une dans ces œuvres mais également en un ensemble uni, qui donne ainsi cet aspect de tache, de masse couchée sur le papier. L’enjeu consiste alors pour le spectateur en un jeu d’échelles qui composent l'œuvre complète, un alliage entre l’individualité de chaque pierre et l’unicité du tout qu’elles forment.
Du côté de l’artiste, l’idée est de poser une certaine distance avec le sujet pour comprendre les interactions entre ces pierres, d’établir des liens entre elles, sans pour autant chercher d’histoire ou encore d’intention poussée, ce qui fait alors intervenir une méditation qui va devenir commune au regardeur. De plus, dans une nécessité de proximité avec son travail de représentation, l’artiste se cloître dans son atelier se coupant ainsi du réel et instaurant alors cette distance avec l’extérieur et ainsi cette méditation : « [...] je suis en résonance, c’est-à-dire que je suis à la fois en observateur et à la fois en acteur, les deux en même temps, ce qui peut être en rapport avec le terme de méditation ».
Interview
Pouvez-vous rapidement vous présenter, parler de votre parcours, votre démarche ?
Mon parcours, il est issu de nécessités et d’accidents dans le sens où je n’ai pas baigné dans le milieu artistique, je n’ai pas été élevé dans des bibliothèques ou des visites de musées, ni même aucune lecture qui soit philosophique ou esthétique. C’est le dessin, l’envie de dessiner qui m’a amené à la nécessité de poser les choses par le dessin. En fait, la création artistiques venue par des rencontres, c’est venu vraiment par hasard, c'est-à-dire des rencontres qui m'ont amené à développer certaines choses, à connaître certains pans de l’histoire de l’art. Ça paraît énorme comme ça mais je ne savais même pas que les Beaux-Arts pouvaient exister, le milieu artistique j’en étais loin, et ça a été la première fois que je me suis retrouvé dans une école d’art dans laquelle j’ai pu rencontrer des gens qui se destinaient à rentrer aux Beaux-Arts, et je suivais un flux presque par accident, donc c’est un mélange de nécessités. Il y a le “faire” qui est à la base de tout, et à la fois le “faire” fait des rencontres à droite, à gauche, etc... et petit à petit va ouvrir ce champ de l’art contemporain. Ensuite, l’entrée aux Beaux-Arts a été un réel choc, parce que c’était tout un univers que je ne soupçonnais pas, je me suis retrouvé simplement à un moment avec des gens qui avaient cette intention de rentrer aux Beaux-Arts et j’ai suivi candidement, bêtement un flux qui, je me suis rendu compte, était finalement le mien. Donc c’était des rencontres, des accidents et un mouvement comme ça, et rétrospectivement, je me rends compte qu’on est peut-être dans les voyages importants, dans le tracé qui était peut-être assez évident. Si on fait tout le parcours jusqu’à présent, le tracé est assez évident, mais il ne vient pas sans créer une culture dans laquelle je n’ai pas baigné au tout départ.
Vous êtes vous intéressé directement à ce fait de dessiner l’ordinaire, ce que vous voyez autour de vous ?
Non, c’est venu après. Au départ, c’était vraiment l’observation, la représentation, le questionnement par rapport à ce qui était en face de moi qui a dominé. Les concepts, les choses, c’était très naturel, j’ai quelque chose de moi et la pratique du dessin pour représenter ce que j’avais en face de moi. C’était aussi naturel que ce qui était de poser les yeux sur les choses. Donc il n’y avait pas de réflexion, il y avait simplement le “faire”, quelque chose qui est devant les yeux et qui à un moment, pour je ne sais quelle raison, a besoin de se coucher sur le papier, a besoin de prendre une distance. Donc il y avait une nécessité pratique, plastique de faire quelque chose avec mes mains qui était en l'occurrence de l'ordre du dessin. Les concepts, tout ce qui est réflexion autour de ça est venu bien plus tard, il y avait quelque chose de très basique, de très primaire.
Vous êtes vous intéressé directement à ce fait de dessiner l’ordinaire, ce que vous voyez autour de vous ?
Non, c’est venu après. Au départ, c’était vraiment l’observation, la représentation, le questionnement par rapport à ce qui était en face de moi qui a dominé. Les concepts, les choses, c’était très naturel, j’ai quelque chose de moi et la pratique du dessin pour représenter ce que j’avais en face de moi. C’était aussi naturel que ce qui était de poser les yeux sur les choses. Donc il n’y avait pas de réflexion, il y avait simplement le “faire”, quelque chose qui est devant les yeux et qui à un moment, pour je ne sais quelle raison, a besoin de se coucher sur lepapier, a besoin de prendre une distance. Donc il y avait une nécessité pratique, plastique de faire quelque chose avec mes mains qui était en l'occurrence de l'ordre du dessin. Les concepts, tout ce qui est réflexion autour de ça est venu bien plus tard, il y avait quelque chose de très basique, de très primaire.
Vous êtes vous intéressé directement à ce fait de dessiner l’ordinaire, ce que vous voyez autour de vous ?
Non, c’est venu après. Au départ, c’était vraiment l’observation, la représentation, le questionnement par rapport à ce qui était en face de moi qui a dominé. Les concepts, les choses, c’était très naturel, j’ai quelque chose de moi et la pratique du dessin pour représenter ce que j’avais en face de moi. C’était aussi naturel que ce qui était de poser les yeux sur les choses. Donc il n’y avait pas de réflexion, il y avait simplement le “faire”, quelque chose qui est devant les yeux et qui à un moment, pour je ne sais quelle raison, a besoin de se coucher sur le papier, a besoin de prendre une distance. Donc il y avait une nécessité pratique, plastique défaire quelque chose avec mes mains qui était en l'occurrence de l'ordre du dessin. Les concepts, tout ce qui est réflexion autour de ça est venu bien plus tard, il y avait quelque chose de très basique, de très primaire.
Vous êtes vous intéressé directement à ce fait de dessiner l’ordinaire, ce que vous voyez autour de vous ?
Non, c’est venu après. Au départ, c’était vraiment l’observation, la représentation, le questionnement par rapport à ce qui était en face de moi qui a dominé. Les concepts, les choses, c’était très naturel, j’ai quelque chose de moi et la pratique du dessin pour représenter
ce que j’avais en face de moi. C’était aussi naturel que ce qui était de poser les yeux sur les choses. Donc il n’y avait pas de réflexion, il y avait simplement le “faire”, quelque chose qui est devant les yeux et qui à un moment, pour je ne sais quelle raison, a besoin de se coucher sur le papier, a besoin de prendre une distance. Donc il y avait une nécessité pratique, plastique de faire quelque chose avec mes mains qui était en l'occurrence de l'ordre du dessin. Les concepts, tout ce qui est réflexion autour de ça est venu bien plus tard, il y avait quelque chose de très basique, de très primaire.
Que cherchez-vous à mettre en avant dans vos productions ?
Dans cette question là il y a l’idée de mettre en avant, comme s' il y avait une volonté. Et si il y a bien une chose qui est peu présente chez moi c’est la volonté de mettre quelque chose en-avant, et ça peut être rattaché à ce que je disais au départ, c’est-à-dire que je n’ai pas un concept qui ensuite trouve le moyen plastique d’être le plus mis en place, il y a le “faire” qui est avant. J’écris beaucoup et il y avait une phrase que j’avais écrite et qui est assez proche de ma manière d’appréhender les choses, je dis que ma peinture, et c’est certainement vrai de beaucoup d’artistes, c’est une chose qui me devance. C’est-à-dire que la peinture et l’acte de peindre, l’acte de faire, est toujours en avant. Je me rends compte qu’il a toujours une longueur d'avance sur moi. Et c’est à posteriori, quand les choses sont déroulées que par un regard extérieur, un critique, des proches, soit par le mien, que j’analyse mieux la nécessité et le chemin qui a été pris et qui était nécessaire, et la manière de la prendre. L'idée de volonté, on peut penser à certains cinéastes, certains écrivains qui ont une histoire à raconter et qui vont vouloir trouver le moyen de la raconter. Moi je ne suis pas dans cette logique là. Roland Barthes parlait du style, et c’est une phrase qui résonne très fortement dans ma tête, c’est qu’il s’agit d’observer le produit d’une poussée et non d’une intention. Dans ma manière de travailler, dans le travail que je fais, il y a vraiment quelque chose qui est non pas une intention de poser quelque chose mais une poussée. C’est une poussée qui entre en résonance avec le monde qui m’entoure. Mais l’idée d’une volonté m’est un peu étrangère dans ma démarche.
Avez-vous une réflexion particulière dans le détachement de vos sujets de la réalité, d’un cadre spatio-temporel
existant ?
Disons que cadrer, choisir une image, prendre une photo, c’est déjà sortir la chose de son contexte, la sortir du cadre spatio-temporel, la faire exister sur un temps qui est donné, qui est différent. Il y a dans le détachement de ces sujets l’idée de regarder, de poser un œil perpétuellement neuf sur les choses, Nietzsche parlait de voyage, d’être constamment en mouvement et de toujours regarder les choses d’une manière nouvelle. Je ne prend pas le visible et l’invisible comme deux parties contraires, je les prends vraiment comme deux faces d'une même pièce, Cadrer quelque chose c’est obligatoirement se référer au hors-champs, isoler quelque chose, montrer quelque chose c’est faire référence à ce que volontairement on a choisi de ne pas montrer, c’est le principe même d’un cadrage. Donc si il y a une volonté c’est d'être dans une vision, Merleau-Ponty disait que la vision du peintre c’est une vision continuée, et cette continuité, ce voyage là, il se fait par des petits pas de côté qui peuvent être le fait d’un cadrage très précis qui à un moment va suspendre le temps, un point de vue très précis qui à un moment va tellement décontextualiser la chose que l’on va en oublier presque comment elle était originellement, une accumulation qui à un moment va donner plus d’importance à l'ensemble qu’à la partie, comme sur les Moineaux¹ par exemple, ou comme les Pierre².D’ailleurs, j’avais volontairement pris le titre de Pierre Noire (singulier), c’est-à-dire que cet ensemble de pierres finalement n’en faisait qu’un, et que la tâche que ça faisait sur la feuille, cette masse là, ce pur geste graphique, était plus important que le nombre de pierres qui le composaient. Donc pour ces détachements, l’intention particulière c'est d'être dans cette vision du peintre qui est une naissance continuée, et ça c’est quelque chose dont, là aussi, je me rends compte maintenant, quelque chose qui me semble évident maintenant et qui ne l’as pas été. Donc ça, ça vient par le détail, le fait d’appuyer sans cesse un détail fait en sorte que moi-même quand je peins je suis concentré sur une partie et donc la partie devient tout autre, elle devient un monde à part. Donc ce détachement du cadre spatio-temporel vient de l’échelle parfois, il vient de la minutie que je mets, il vient de la décontextualisation, le fait de sortir certains éléments en en gardant d’autres : quand j’enlève un sol et que je garde l’ombre projetée, qui finalement ne peut exister qu’au sol. Ce sont ces petits paramètres qui font que l’on est complètement dans un ailleurs, très clairement, et à la fois on est à la maison aussi, dans quelque chose d’identifiable, de reconnaissable.
Avez-vous une suggestions à nous proposer quant à l'œuvre qui est pour vous la plus représentative du sujet de
l’IN-VISIBLE ?
Ce seraient peut-être les dernières sur lesquelles je travaille, ce sont toujours les dernières qui m'intéressent le plus, donc c’est peut-être les branches suspendues, donc les branches en apesanteur que j’ai mis en place. Ceux-là le mettent d’avantage en place, sachant que ce sont sur ces œuvres-là ou les précédentes qu’est arrivé l’ombre projetée, c’est-à-dire l’espace qui n'existait pas, ou plutôt la décontextualisation était telle qu’il n’y avait pas d’ombre projetée qu'arrivait quelque part, là c’est l’endroit où je suis le plus sur un fil parce qu’à la fois il y a l’absence de l’environnement et à la fois il y a la conséquence de cet environnement puisqu’il ya une ombre projetée. Donc on va dire que ça serait peut-être les dernières.
Que pensez-vous d’une mise en relation de votre travail avec ceux de Fabienne Verdier et d'Abdelkader Benchamma, notamment au niveau d’une certaine méditation, d’une certaine contemplation dans ce qu’ils proposent ?
Le rapprochement me parle, et tu parles de la méditation dans cette intention particulière de ce cadre spatio-temporel avec lequel je joue. Il est évident qu’il y a aussi cette dualité entre l'instant et l’éternité, et qui n’a rien à voir avec un temps arrêté, c’est plus un temps suspendu, une temporalité différente. En ça, oui il y a peut-être quelque chose de la méditation, premièrement parce qu’elle est à la fois une forte présence et à la fois elle peut se faire par l'absence, on peut méditer en fermant les yeux, ou une méditation de pleine conscience par exemple. Et puis je pense que ça a un rapport avec la relativité, la manière dont on se pose pour regarder les choses. Par exemple si j’observe une chose qui tombe, le meilleur moyen pour rentrer en phase avec elle c’est de tomber avec elle, mais si je tombe avec elle de fait la chose ne tombe plus. Donc il y a le fait de sortir les choses d’un contexte qui touche cette idée d'instant, cette dualité entre l’instant et l’éternité, j’insiste : l’instant ce n’est pas le temps arrêté, c'est un temps qui s’étire, et là il y a quelque chose que je peux mettre en rapport avec la méditation, dans le sens où ça serait une disponibilité à moi même et une disponibilité au monde, et pas une disponibilité uniquement à moi-même. Par exemple, je ne suis pas un peintre romantique, je ne raconte pas les affres de ma vie, de la vie etc... Je n’ai pas une peinture romantique, et j’essaie juste de rentrer en résonance avec ce qui est autour de moi sans me perdre moi. C’est-à-dire que je ne suis pas centré sur moi, je ne suis pas centré sur le monde. On peut être centré sur soi par le romantisme dont je parlais, on peut être centré sur le monde par un travail sur l’actualité par exemple : se raconter des histoires, se positionner sur des faits concrets, se positionner sur la grande actualité ou sur la petite actualité, c’est une manière d’être disponible au monde. Moi je ne suis ni dans l’un, ni dans l’autre. Je suis en résonance, c’est-à-dire que je suis à la fois en observateur et à la fois en acteur, les deux enmême temps, ce qui peut-être en rapport avec le terme de méditation.
¹Série Moineaux, 2016
²Série Pierre Noire, 2017